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ENQUÊTE
Depuis les attentats de Paris, les besoins en vigiles ont grimpé. Mais l’embauche ne suit pas.
La peur fait naître de l’emploi dans une époque troublée qui cherche désespérément à en créer. Depuis les attaques terroristes parisiennes – à Charlie Hebdo le 7 janvier puis à l’Hyper Cacher le surlendemain -, les services de sécurité de l’Etat, (police, gendarmerie et armée) sont en état d’alerte maximale sur le territoire français. Mais les fonctionnaires mobilisés pour les plans «Vigipirate renforcé» et «Vigipirate attentat» ne suffisent pas à faire face à la menace jihadiste. Résultat, les sociétés de sécurité privées doivent répondre à une demande accrue de main-d’œuvre qualifiée, dans un secteur qui en manque.
La sécurité privée emploie environ 250 000 agents, chiffre à comparer aux 150 000 policiers et gendarmes. «Il y a eu pas mal de panique dans les heures qui ont suivi les attentats et nous avons eu un certain nombre de demandes liées à cette situation atypique, atteste Olivier Féray, PDG de Prosegur France, l’une des cinq plus importantes sociétés de sécurité privée française avec 5 500 salariés. Tous les lieux qui accueillent des gens ont décidé de renforcer leurs dispositifs.»
Ces derniers temps, crise économique et activité en berne obligent, l’activité avait ralenti. «Les entreprises réduisant leurs dépenses et rognant sur ce qui pouvait l’être, les budgets de sécurité ont été amputés», témoigne Olivier Féray. Mais, depuis janvier, aux grands magasins voulant assurer la sécurité de leurs clients pour la période de soldes se sont ajoutées les demandes d’établissements et de services publics déterminés à rassurer leur public face à la menace invisible. «Là où il fallait deux personnes pour filtrer les entrées, il en a fallu une troisième», précise le patron de Prosegur France.
De la même manière, le groupe Triomphe Sécurité, qui emploie d’ordinaire 1 500 agents pour protéger, entre autres, Disneyland Paris et des centres commerciaux franciliens, a fourni plus d’une centaine d’agents de sécurité supplémentaires à sa clientèle, même si celle-ci en aurait souhaité «plus de 300». Triomphé Sécurité admet rencontrer «énormément de difficultés» pour recruter.
Image. Pour Olivier Féray, «les difficultésn’ont rien à voir avec la période actuelle, même si cette dernière a bien entendu encore compliqué notre tâche.» Selon lui, la pénurie d’embauche de personnels de sécurité privée est structurelle, et en particulier en région parisienne, qui est pourtant «la première zone d’emploi de ces agents ; Paris représente un tiers du marché national».Mais toute la difficulté est de parvenir à conserver les agents compétents. «Nous devons faire face à énormément d’entrées et de sorties de personnels», regrette le patron. Il s’agirait essentiellement d’une question de faible rémunération, un agent de «base» étant en général payé au Smic, soit 9,61 euros de l’heure, même si le travail de nuit et du week-end permet d’améliorer la paye.
Ces difficultés de recrutement sont également liées à l’image de la profession, même si, depuis les attentats, cette dernière «a énormément évolué de manière positive». «Les gens comprennent que les agents ne sont pas là pour les embêter mais pour les protéger», affirme le patron de Prosegur. «On ressent un regard nouveau et positif des citoyens», confirme Jean-Pierre Tripet, président du Syndicat national des entreprises de sécurité (Snes). Son entreprise, Lorica, recrute ses agents «dans le milieu sportif», et notamment «dans les arts martiaux» : «Ils savent défendre leur intégrité physique mais aussi appréhender la menace et le danger.»
Selon le Snes, les effectifs d’agents de sécurité ont cru «de 15 à 20% depuis les événements».
Qualités. Pour devenir agent de sécurité privée, métier né il y a environ un siècle, une formation de base de cent quarante heures dispensée dans des centres spécialisés est obligatoire. Sanctionnée par un certificat de qualification professionnelle, la formation porte sur différents aspects juridiques et techniques – légitime défense, secours et assistance à personne – et autres spécificités du métier, telles le certificat incendie, la surveillance physique et vidéo, l’utilisation des moyens de défense et d’alarme… Quant au processus de recrutement, il se révèle assez long – de trois à six mois – en raison d’enquêtes administratives diverses en sus de la formation. Enfin, selon les recruteurs du secteur, «calme, recul, pondération, faculté d’évaluation» comptent parmi les qualités nécessaires au métier. «Avec les évolutions de la pratique et du regard de la population, qui a compris que l’on participait à la sécurité du pays, nous gagnons nos lettres de noblesse», se félicite Jean-Pierre Tripet. Il en veut pour preuve qu’aujourd’hui, «toutes les casernes, à l’instar de l’Ecole militaire, sont gardées par des sociétés de sécurité privées supervisées par des militaires gradés». Difficile de rêver plus belle vitrine que l’armée faisant appel à des vigiles pour renforcer la sécurité de ses installations.
Les sociétés de sécurité privée sous le feu de la demande
Depuis les attentats de Paris, les besoins en vigiles ont grimpé. Mais l’embauche ne suit pas. La peur fait naître de l’emploi dans une époque troublée qui cherche désespérément à en créer…