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Gestion des grands événements par le BSP au Québec : Enjeux et stratégies
Montréal – Au cours d'un récent entretien que j'ai eu avec le Bureau de la sécurité privée (BSP) du Québec, l'équivalent du CNAPS outre Atlantique (j'avais déjà fait ce type d'entretien en 2013: voir mon article avec l'ancien directeur du BSP), divers aspects cruciaux de la gestion de la sécurité lors de grands événements ont été examinés. Ces discussions ont révélé des défis tels que la régulation du secteur, les pénuries de main-d'œuvre, et l'élaboration de stratégies adaptatives en réponse à des circonstances extraordinaires. L'approche du BSP pourrait offrir des idées précieuses pour la France, où le coût élevé de la formation en sécurité privée, spécifiquement le programme "PSGE" de 106 heures, soulève des questions d'efficacité financière et opérationnelle. En Île-de-France, par exemple, une prime allant jusqu'à 2 000 euros est offerte pour encourager la formation dans ce secteur, mais cela ne garantit pas la présence effective des agents formés ("No-Show") le jour de l'événement, ni que les profils recrutés soient les plus adaptés pour ces missions.
Je reste convaincu que la qualité des agents de sécurité ne repose pas uniquement sur l'étendue de leur formation, mais nécessite surtout un encadrement rigoureux et constant, un aspect souvent négligé dans le secteur de la sécurité privée car non facturé "directement". En ce sens, le modèle Québécois, qui privilégie la supervision étroite des agents temporaires par des professionnels dûment formés et certifiés, pourrait servir d'exemple pour optimiser l'efficience sans compromettre la sécurité.
Contexte et défis réglementaires au Québec
Le BSP, régulateur crucial de l'industrie de la sécurité privée au Québec, est confronté à d'importants défis. En tête de liste, la régulation des normes de moralité et de compétence des agents, particulièrement cruciale lors des événements majeurs tels que les concerts et manifestations sportives. La loi permet, sous certaines conditions, la délivrance de permis temporaires pour faire face à des besoins ponctuels (comme un évènement sportif ou récréatif, ou encore une pandémie ou une catastrophe majeure), une mesure essentielle mais qui requiert une gestion rigoureuse pour garantir la sécurité publique, pendant 120 jours maximum.
Stratégies lors de grands événements
Concernant la sécurité lors des grands événements, le BSP travaille étroitement avec les organisateurs et les autorités locales pour optimiser la couverture sécuritaire. Une attention particulière est portée à la rapidité de traitement des demandes de permis temporaires, assurant ainsi que les agents nécessaires soient prêts et aptes à intervenir en temps voulu.
Formation et certification
Bien que les titulaires de permis temporaires soient exempts de formation spécifique, le rôle du BSP dans la formation et la certification reste prépondérant. Pour les permis réguliers, une formation de 70 heures (contre 175h en France), incluant un volet de secourisme, est requise, assurant un niveau élevé de préparation face aux divers scénarios qui peuvent survenir lors de grands rassemblements.
Obtention d'un permis temporaire : Modalités et conditions
Cas de délivrance d'un permis temporaire
La Loi sur la sécurité privée au Québec autorise le Bureau de la sécurité privée (BSP) à délivrer un permis temporaire d'agent dans plusieurs cas spécifiques :
- Pour suivre une formation, notamment dans le cadre de stages ou de programmes en alternance travail-études.
- Pour répondre aux besoins particuliers d'une enquête, tels qu'un rôle d'agent d'infiltration ou d'agent double.
- Pour fournir de la main-d'œuvre temporaire lors d’événements spéciaux tels que des activités sportives ou culturelles, des conflits de travail, ou en cas de désastre.
Conditions pour l'obtention d'un permis temporaire au Québec
- Âge requis : Il faut être âgé d'au moins 18 ans, sauf si le permis est demandé pour participer à une formation qualifiante pour un permis régulier.
- Antécédents judiciaires : Les candidats ne doivent pas avoir été reconnus coupables d’une infraction criminelle liée à l'activité de sécurité privée, à moins d'avoir reçu un pardon. Une vérification des antécédents sera effectuée par la Sûreté du Québec.
- Statut au Canada : Le demandeur doit être citoyen canadien, résident permanent ou détenteur d’un permis de travail valide au Canada.
- Condition physique et mentale : Le candidat doit être en état physique et mental compatible avec les exigences de l'activité de sécurité privée. Une attestation médicale peut être requise.
Obligations liées au permis temporaire
Le détenteur d'un permis temporaire doit :
- Rester sous la responsabilité de l'employeur pour lequel le permis a été délivré.
- Être supervisé par un titulaire de permis d'agent régulier valide.
- Exercer uniquement dans le cadre spécifié par son permis temporaire.
- Renouveler son permis temporaire avant expiration si les conditions de la demande initiale persistent.
Documents requis pour la demande
Les demandeurs doivent fournir :
- Pour les stages ou alternances : Preuve d'inscription à une formation qualifiante, déclaration de l'employeur signée.
- Pour des besoins d’enquête : Déclaration de l'employeur spécifique à l'enquête.
- Pour les événements spéciaux : Déclaration de l'employeur relative à l'événement.
- Deux pièces d'identité valides et deux photos passeport récentes.
Procédure de demande
Les demandeurs doivent remplir et soumettre leur demande en ligne ou par courrier, en s'assurant d'inclure tous les documents nécessaires. Un lien vers la plateforme de demande en ligne est disponible sur le site du BSP.
Pénurie de main-d'œuvre et solutions
La pénurie de main-d'œuvre est un problème significatif, touchant également le Québec. Le BSP reconnaît cette réalité et collabore avec l'industrie pour développer des solutions adaptées, bien que l'organisme ne dispose pas de mandat direct pour la rétention des talents.
Impact de la réglementation du BSP
Depuis sa mise en place, la réglementation du BSP a contribué à renforcer l'intégrité et le professionnalisme dans le secteur de la sécurité privée au Québec. Ce cadre réglementaire rigoureux est essentiel pour maintenir la confiance du public et assurer une protection efficace lors d'événements majeurs.
L'interview avec le BSP révèle une organisation profondément engagée dans la sécurisation des espaces publics lors de grands événements. Par le biais de ses régulations, formations et collaborations intersectorielles, le BSP joue un rôle clé dans la promotion d'une industrie de sécurité privée à la fois compétente et digne de confiance, même face à des défis de taille comme la pénurie de main-d'œuvre et la gestion de situations exceptionnelles.
Leçons à tirer pour la France : Vers une carte professionnelle du CNAPS temporaire ?
L'expérience du Québec avec le permis temporaire (valable 120 jours) pourrait inspirer la France à envisager la création d'une carte professionnelle temporaire du Conseil National des Activités Privées de Sécurité (CNAPS). Cette initiative viserait à réguler les agents de sécurité temporaires lors de grands événements ou pour les étudiants en alternance, tels que ceux suivant un BTS MOS ou un Bac pro métier de la sécurité.
Cadre d'emploi des agents temporaires
L'introduction d'une carte professionnelle temporaire serait bénéfique pour permettre aux étudiants et aux agents temporaires de s'impliquer activement dans des missions de sécurité. Ils seraient systématiquement placés sous la supervision stricte et continue d'un agent détenteur d'une carte professionnelle permanente ( de 5 ans). Ce dispositif de mentorat et de supervision directe garantirait que tous les agents, y compris les temporaires, opèrent conformément aux normes de sécurité rigoureusement établies. Des organismes tels que la SUGE (Surveillance Générale de la SNCF) ou le GPSR (Groupe de Protection et de Sécurité des Réseaux de la RATP) ont déjà mis en évidence les avantages d'un tel système de mentorat, appliqué sur une période suffisamment longue pour assurer une formation adéquate des nouveaux arrivants.
Formation et responsabilités
Un module de formation complémentaire pourrait être développé pour souligner les responsabilités des agents titulaires vis-à-vis des agents temporaires. Cette formation porterait sur les meilleures pratiques de supervision, les techniques d'intervention adaptées et les méthodes pour maintenir une communication efficace avec les agents temporaires. L'objectif serait de préparer les agents permanents à encadrer efficacement leurs homologues temporaires, renforçant ainsi la sécurité globale lors des événements.
Distinction vestimentaire
Pour faciliter l'identification et renforcer la transparence, les agents temporaires pourraient porter une tenue distincte de celle des agents de sécurité classiques (qui eux devront porter une "tenue nationale"). Cette différenciation vestimentaire permettrait non seulement de reconnaître immédiatement le statut temporaire de l'agent, mais aussi de rassurer le public sur le fait que toutes les personnes en position d'assurer la sécurité sont dûment qualifiées et/ou strictement supervisées.
Avantages pour le secteur de la sécurité privée
L'introduction d'une carte professionnelle temporaire pourrait avoir plusieurs avantages :
- Flexibilité accrue : Les entreprises de sécurité seraient en mesure de répondre plus efficacement aux pics de demande lors des grands événements, de catastrophe ou encore d'actes de terrorisme.
- Formation pratique : Les étudiants bénéficieraient d'une expérience précieuse sur le terrain, complétant leur formation théorique et les préparant mieux pour leur future carrière.
- Assurance qualité : La supervision constante garantirait que les standards de qualité et de comportement professionnel soient maintenus, même dans des situations de forte demande.
En s'inspirant du modèle Québécois, la France pourrait renforcer sa capacité à gérer les besoins temporaires en sécurité tout en offrant une voie structurée et réglementée pour l'intégration professionnelle des jeunes agents. Cette approche contribuerait significativement à la professionnalisation et à l'efficacité du secteur de la sécurité privée.
Des agents de sécurité temporaire sans formation ? Mais c'est très dangereux ça !
L'idée d'intégrer des agents de sécurité temporaires sans formation extensive soulève des inquiétudes légitimes quant à leur efficacité et leur sécurité. Pour pallier ces préoccupations, la mise en place d'une formation obligatoire, même réduite—de 14 à 21 heures—pourrait s'avérer bénéfique. Cette formation pourrait couvrir des sujets essentiels et basiques tels que le cadre légal d'intervention d'un agent de sécurité, les techniques de fouille et de palpation, ainsi que la gestion de conflit. Avant même cette formation, il serait judicieux que les candidats complètent le MOOC Vigipirate proposé par la SGDSN, assurant ainsi une base de connaissances en matière de prévention du terrorisme.
Pourquoi envisager une carte professionnelle temporaire ?
Cette approche serait particulièrement pertinente pour la France où l'idée de créer une carte professionnelle CNAPS "temporaire" pourrait être envisagée, tant pour les grands événements que pour les alternants en sécurité privée. Ces agents pourraient être déployés sous la supervision continue d'un agent titulaire d'une carte professionnelle valide, assurant ainsi un encadrement strict et une montée en compétences sécurisée.
Formation comparée et implication
Il est pertinent de comparer avec d'autres professions de sécurité qui, bien que soumises à (beaucoup !) moins d'heures de formation ou à des réglementations différentes, détiennent parfois des prérogatives bien plus étendues qu'un simple agent de sécurité. Par exemple, les gardes particuliers reçoivent seulement 10 heures de formation initiale mais ont des fonctions de police judiciaire avec assermentation. De même, les agents chargés des visites de sûreté dans les ports (ACVS) suivent une formation initiale adaptée aux tâches spécifiques qu'ils auront à effectuer, sans être soumis au CSI livre VI.
Exemples concrets:
1. Garde particulier
Formation : 10 heures de formation initiale
Pouvoirs : Les gardes particuliers sont assermentés et ont des missions de police judiciaire, ce qui inclut la capacité d'établir des procès-verbaux d'infraction. Ils assurent la surveillance des propriétés privées avec une autorité notable.
2. Agent de sécurité portuaire (ACVS)
Formation : 21 heures de formation initiale
Pouvoirs : Ces agents ne sont pas régis par le CSI Livre VI. Ils ont des responsabilités spécifiques dans la sécurisation des zones portuaires, avec des prérogatives étendues en termes de contrôle et de surveillance, incluant l'utilisation d'équipements de détection radioscopique si nécessaire ... et surtout la possibilité de fouille des coffres des véhicules !
3. Agent de sécurité d’un casino de jeux
Formation : Aucune formation initiale spécifique exigée
Pouvoirs : Les agents de sécurité dans les casinos gèrent l'accès des clients et surveillent les activités du casino. Ils contrôlent les entrées et sont responsables de la vidéosurveillance, ainsi que l'ordre et la paisibilité des lieux, sans nécessiter de formation réglementée en sécurité privée.
4. Agents des services internes de sécurité de la SNCF ou de la RATP (SUGE et GPSR)
Formation : 162 heures de formation initiale (hors mentorat: cursus où ils sont sur le terrain mais toujours accompagné)
Pouvoirs : Ces agents sont armés et assermentés, avec des formations spécifiques sur le cadre juridique, la déontologie, et des techniques d'intervention avancées. Ils assurent la sécurité dans les transports publics, une responsabilité significative compte tenu de leur environnement opérationnel.
5. Gendarmes de la réserve opérationnelle
Formation :
- Préparation militaire gendarmerie (PMG), d’une durée de 15 jours, complétée ultérieurement par une formation à l’exercice des prérogatives d’agent de police judiciaire adjoint (APJA) et une formation au secourisme ;
OU - D'une formation opérationnelle du réserviste territorial (FORT), d’une durée de 24 jours comprenant la formation APJA et secourisme.
Pouvoirs : Les réservistes sont intégrés dans la Gendarmerie nationale, exerçant des fonctions de sécurité et d'ordre public, armés et avec des pouvoirs d'arrestation et de contrôle légal similaires à ceux des gendarmes professionnels.
Analyse comparée et implications
Cette variété dans les exigences de formation soulève des questions importantes sur l'efficacité et la pertinence de la formation actuelle pour les agents de sécurité traditionnels en France. Les exemples mentionnés illustrent des cas où des responsabilités élevées, y compris l'utilisation d'armes et des pouvoirs de police judiciaire, sont accordées avec des périodes de formation relativement courtes comparées aux 175 heures requises pour les agents de sécurité privée, qui n'on aucune prérogative (Hormis le contrôle des sacs et la palpation de sécurité).
La nécessité de repenser la formation en sécurité privée pourrait donc se concentrer non seulement sur la durée de la formation mais aussi sur sa qualité, son adaptation aux réalités du terrain, et surtout l'importance de l'encadrement sur place. Cette approche permettrait d'aligner la formation avec les besoins réels des agents et des environnements dans lesquels ils opèrent, renforçant ainsi l'efficacité globale du secteur de la sécurité privée en France.