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Debout-payé, ou pourquoi les vigiles sont noirs.

Table des matières

Le livre que Franz Fanon n’a pas écrit sur la société de consommation.

Debout-Payé est le roman d’Ossiri, étudiant ivoirien devenu vigile après avoir atterri sans papier en France en 1990.

C’est un chant en l’honneur d’une famille où, de père en fils, on devient vigile à Paris, en l’honneur d’une mère et plus globalement en l’honneur de la communauté africaine à Paris, avec ses travers, ses souffrances et ses différences. C’est aussi l’histoire politique d’un immigré et du regard qu’il porte sur notre pays, à travers l’évolution du métier de vigile depuis les années 1960 — la Françafrique triomphante — à l’après 11-Septembre.

Cette épopée familiale est ponctuée par des interludes : les choses vues et entendues par l’auteur lorsqu’il travaillait comme vigile au Camaïeu de Bastille et au Sephora des Champs-Élysées. Gauz est un fin satiriste, tant à l’endroit des patrons que des client(e)s, avec une fibre sociale et un regard très aigu sur les dérives du monde marchand contemporain, saisies dans ce qu’elles ont de plus anodin — mais aussi de plus universel.

Un portrait drôle, riche et sans concession des sociétés française et africaine, et un témoignage inédit de ce que voient vraiment les vigiles sous leur carapace.

Roman français de Gauz
Photographie de couverture de Denis Darzacq
Maquette de l’atelier Cheeri
978-2-37100-004-9 – 192 pages – 17€

Article de presse de France Culture sur ce roman:

 

Si vous êtes noir, mais insuffisamment doué pour la danse et la musique, aux Etats-Unis, il vous reste la politique. Mettons que vous soyez de droite, vous adhérez au Parti républicain et vous devenez chef d’état-major des armées, comme Colin Powell ; ou encore Secrétaire d’Etat comme Condolezza Rice. Si vous êtes de gauche, alors là, vous pouvez carrément viser la présidence, comme Barak Obama. Si vous êtes noir et insuffisamment doué pour la danse et la musique en France, vous pouvez devenir vigile, agent de sécurité ou encore videur de boîte de nuit. Pas maître-chien. Le chien n’est pas bien considéré dans la culture africaine.

 

Pas marrant d’être vigile, ou encore, en français d’Afrique, « debout-payé » : « On reste debout à regarder jouer les autres », comme le gardien de but au football. Mais c’est une profession où les noirs sont surreprésentés, en tous cas à Paris, en vertu de la Théorie du PSG, qui établit un lien entre la Pigmentation de la peau, la Situation sociale et la Géographie ». (p. 127) Normal, je cite Gauz : « Les noirs sont costauds, les noirs sont grands, les noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur. » p. 7)

 

Le vigile, métier qui a subi des fluctuations en fonction de la menace terroriste, exige dorénavant une formation. Mais il entraîne néanmoins  un « sentiment d’inutilité et de gâchis », auquel on réagit en « surjouant l’agressivité ».  En outre, c’est mal payé. Ce qui vérifie votre « Théorie de l’altitude relative au coccyx ». Laquelle s’énonce ainsi : « Dans un travail, plus le coccyx est éloigné de l’assise d’une chaise, moins le salaire est important. » Le « debout-payé » est donc mal payé. Forcément. En outre, il risque de déchoir à ses propres yeux en se muant en « garde floko », du surnom de ces gardes en chéchia rouge qui mataient les colonisés – oui, vous l’avez reconnu, celui-là même qui ornait les paquets de Banania… Mais vigile, c’est un poste d’observation de la société environnante bien préférable à une salle de rédaction ou à un séminaire de sociologie.

 

Ossiri, votre personnage, n’a pas les yeux dans la poche de sa veste noire et il a la langue bien pendue. Il fait des remarques intempestives et politiquement incorrectes sur tout ce qu’il voit, tire des lois de ses remarques. C’est une espèce d’ethnologue africain débarqué à Paris. Ainsi, a-t-il classé les réactions des clients lorsque le portique de sécurité sonne, en fonction de leur nationalité : l’Allemand fait un pas en arrière, pour vérifier la fiabilité du système, le Français regarde dans tous les sens à la recherche d’un autre coupable, qu’il est prêt à désigner à l’autorité. Le Brésilien, lui, lève les bras en l’air… J’aime bien aussi : « Les Chinois ont toujours au moins un accessoire Louis Vuitton. La Révolution culturelle de Mao a trouvé son achèvement place Vendôme. » (p. 80) Je ne résiste pas à citer : « Un code-barres est tatoué sur le cou d’une jeune fille. Grande tentation de lui passer le pistolet à infrarouges de la caisse pour savoir combien elle coûte. » (p. 70)

 

Si on apprend beaucoup de choses sur la France, sur Paris, sur l’embonpoint des natifs du Golfe persique et les femmes voilées qui les suivent ordinairement, on apprend aussi beaucoup de choses sur l’Afrique dans ce livre jubilatoire. Que le pagne est une invention des blancs, désireux d’écouler leurs stocks de cotonnades, par exemple…

 

Votre Ossiri, manifestement plus vieux que vous – ses souvenirs de France remontent jusqu’aux élections présidentielles de 1974, il habite la Maison des étudiants de Côte d’Ivoire et vit l’expulsion de 1996 de l’église Saint-Bernard  – Il paraît si authentique qu’il me paraît impossible qu’il n’ait pas réellement existé. Votre livre est-il tiré d’interviews ? Qui est ce mystérieux personnage de sage africain auquel vous prêtez votre propre loufoquerie déjantée ?

 

Gauz : Debout-payé, roman. Editions Le Nouvel Attila, 2014.

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