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Contrats d'équipement en vidéoprotection/télésurveillance pour le secteur public : condamnation d'une commune

Table des matières

Par maitre Vincent Luchez

 

 

Contrats d’équipements de vidéosurveillance et télésurveillance pour le secteur public

Identification du régime applicable et maîtrise des risques

 

Le 31 mars 2014, la Cour administrative d’appel de Marseille a rendu un arrêt en matière de marchés publics (CAA Marseille 31 mars 2014 N° 12MA00616), condamnant une commune à indemniser la société auprès de laquelle elle avait souscrit un contrat de location opérationnelle d’équipements de vidéosurveillance et de télésurveillance, en raison des conditions de son exécution puis de sa résiliation. Au-delà du cas d’espèce, cette décision fournit l’occasion d’évoquer les dangers tenant à la méconnaissance, par les entreprises, des caractéristiques propres à certains contrats passés avec des administrations, et la nécessité de prévoir des clauses imputant et organisant la prise en charge des risques liés à leur mise en œuvre.

I. A l’origine du litige : un contrat de location d’équipements sécuritaires

 

La commune avait conclu deux contrats avec une société pour la livraison et l’installation de matériels de vidéosurveillance et de télésurveillance. Une fois livrés, ces équipements avaient été cédés à une autre société. Cette dernière avait ensuite passé un contrat avec la ville, avec pour objet la location et la maintenance desdits équipements pendant cinq ans. Six mois après la conclusion de ce contrat, les autorisations préfectorales nécessaires à l’exploitation des équipements n’ayant pas été obtenues, la commune avait prononcé sa résiliation, après s’être abstenue de verser les loyers, et sans procéder à la restitution des biens par la suite.

Six mois plus tard, la société bailleresse avait prononcé la résiliation du contrat à son tour, puis finalement saisi le Tribunal administratif de Montpellier. Ce dernier a alors condamné la commune à indemniser la société, puis la Cour administrative d’appel a confirmé la condamnation tout en en réduisant le montant (loyers impayés jusqu’à la résiliation bien fondée du contrat par la ville, exclusion de l’indemnité contractuelle de résiliation prévue au seul bénéfice du locataire, indemnité contractuelle pour privation de jouissance des équipements non restitués, restitution).

 

II. La personne publique dispose de pouvoirs non prévus au contrat

 

L’intérêt de l’arrêt tient notamment à la mise en œuvre de la résiliation unilatérale du contrat successivement par l’une et l’autre partie. La raison en est simple : la convention prévoyait cette faculté au bénéfice de la société bailleresse mais en aucun cas en faveur de la commune. La société a donc logiquement contesté l’effectivité de la résiliation prononcée par la ville. La Cour lui a donné tort sur ce point, en jugeant d’une part que le contrat de location relevait de la catégorie des marchés publics, et en rappelant d’autre part que l’appartenance à cette catégorie garantissait à la ville des pouvoirs pourtant absents du document signé par les parties.

 

Pour les professionnels du secteur de la vidéosurveillance et de la télésurveillance, deux séries d’enseignements doivent être tirées de cette affaire et les inciter à la vigilance lorsqu’ils interviennent au profit du secteur public.

 

En premier lieu, un contrat passé avec une personne publique, quand bien même il ne contiendrait aucune stipulation ou terme caractéristique des marchés publics, relèvera néanmoins de cette catégorie et sera soumis aux textes et principes qui en constituent le régime juridique dès lors que les critères de sa qualification seront réunis. Tel était le cas en l’espèce au regard de l’article 1er du Code des marchés publics : un contrat conclu entre une collectivité territoriale et un opérateur économique, prévoyant le versement d’un prix au profit de ce dernier, en vue de la satisfaction d’un besoin de la personne publique en matière de fournitures (les équipements) et de services (la maintenance). Plus précisément ce contrat relevait du point III.- de l’article 1er du Code : « Les marchés publics de fournitures sont les marchés conclus avec des fournisseurs qui ont pour objet l’achat, la prise en crédit-bail, la location ou la location-vente de produits ou matériels. […] Lorsqu’un marché public a pour objet à la fois des services et des fournitures, il est un marché de services si la valeur de ceux-ci dépasse celle des fournitures achetées. ».

 

Les entreprises assimilent souvent les marchés publics à un certain formalisme tenant à leur passation – mise en concurrence voire appel d’offres – et à leur contenu – terminologie et pièces constitutives – alors que, en-dessous de seuils financiers déterminés les exigences de formalisme sont très fortement atténuées, sans que le contrat cesse pour autant d’être un marché public et son régime de s’appliquer, lequel ne se limite pas – loin s’en faut – aux procédures de sélection de son titulaire.

 

En second lieu, par la volonté du législateur, la convention appartenant à la catégorie des marchés publics relève aussi et nécessairement de la catégorie plus large des contrats administratifs (article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier dite MURCEF). Or, le corps de règles applicable aux contrats administratifs est issu pour une large part, non pas de lois ou règlements, mais de décisions des juges administratifs parfois très anciennes et mal connues des non spécialistes. Ainsi, toute personne publique partie à un contrat administratif est fondée à le résilier unilatéralement si elle invoque un motif légitime tenant à l’intérêt général – en l’espèce le bon fonctionnement du service public de la sécurité auquel l’absence d’installation des équipements loués portait atteinte – et alors même qu’aucune clause du contrat ne fait mention de ce pouvoir.

 

III. L’obtention des autorisations d’installation relève de la personne publique

 

Dans cette affaire, le litige s’est noué autour des délais d’obtention des autorisations administratives nécessaires à la mise en place des systèmes de vidéosurveillance et de télésurveillance. Rappelons qu’aux termes de l’article L 252-1 du Code de la sécurité intérieure, l’installation d’un système de vidéoprotection est subordonnée à la délivrance d’une autorisation par le Préfet de département après avis de la commission départementale de vidéoprotection.

Sur qui devait peser le risque lié au défaut d’installation des équipements ? Pour la ville, c’était à la première société titulaire du marché d’installation de l’assumer puisqu’elle n’avait pas exécuté ses obligations, et elle l’a donc appelée en garantie du montant de sa condamnation. Pour la société bailleresse comme pour la Cour administrative d’appel, la ville devait en supporter seule les conséquences, étant donné que la loi lui impute la charge de l’obtention des autorisations et qu’aucune faute ne pouvait être reprochée à ses prestataires.

Faute d’éléments circonstanciés dans l’arrêt d’appel, les causes pratiques de l’allongement des délais d’instruction restent inconnues. Relevons toutefois qu’en droit l’action de l’administration préfectorale est encadrée dans le temps, étant donné qu’en vertu de l’article R 252-9 du Code de la sécurité intérieure, le silence conservé quatre mois par le Préfet vaut décision implicite de rejet, laquelle peut ensuite être contestée en justice.

 

IV. En pratique : anticipation et encadrement

 

Au terme de cette analyse, il apparaît que lorsqu’elle est possible, une meilleure rédaction des contrats passés avec une personne publique est gage d’anticipation et de maîtrise des risques inhérents à leur exécution.

 

En ce qui concerne le régime applicable au contrat, il est impératif d’en connaître à l’avance le contenu, et le cas échéant les pouvoirs que les tribunaux seraient susceptibles de reconnaître à la partie publique à l’occasion d’un contentieux. Une fois le régime juridique identifié, la rédaction des clauses doit faire l’objet d’un soin particulier. Pour n’évoquer que le cas du pouvoir de résiliation unilatérale pour un motif d’intérêt général, l’administration ne peut y renoncer par avance dans le contrat, mais il est possible de l’encadrer, de prévoir des motifs de mise en œuvre et d’en exclure d’autres (CE, 11 mai 1990, OPHLM de la Ville de Toulon, Req 68 689), et d’aménager les modalités financières de l’indemnisation du partenaire privé (CAA Nancy, 18 avril 2002, Société Rapid et Parcus).

 

Quant à la problématique des autorisations, là encore, la rédaction des clauses administratives du contrat est de nature à améliorer la situation de chaque partie. Si l’obtention des autorisations pèse par principe sur la personne publique, celle-ci sera fréquemment assistée du titulaire du marché de fournitures et installation pour la constitution du dossier administratif et technique, dont le contenu est arrêté par l’article R 252-3 du Code de la sécurité intérieure. Aussi les parties veilleront-elles à déterminer précisément leurs obligations respectives en termes de diligences et de délais, ainsi que les conséquences financières et opérationnelles d’un retard ou d’un défaut d’autorisation, qu’il soit le fait de la seule administration préfectorale, du manquement identifiable d’une partie ou encore d’un autre tiers.

 

Maître Vincent Luchez

http://www.luchez-avocats.fr

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