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Après mon article sur le “coût” de la sécurité privée pour la ligue de football (cliquez ici)…
Le secteur de la sécurité privée peut remercier la Fifa. Le pays hôte, en proie à l’insécurité, augmente la demande en formations et accompagnateurs armés de Français en déplacement au Brésil.
Ce sont les hommes de Rio. Des gardes du corps, accompagnateurs, chauffeurs. Parfois armés, ils suivent et protègent les journalistes, professionnels de l’événementiels, invités, chefs d’entreprises et comités de direction du CAC 40. Leur mission : assurer la sécurité de leurs protégés lors du Mondial.
Ces agents ne sont ni policiers ni militaires, encore moins des vigiles de supermarché reconvertis pour l’occasion. Ils ont pu servir l’Etat mais officient désormais pour le compte de sociétés privées, payés à la tâche. Avant, pendant et après la grand-messe du foot. Et le business est florissant. “Depuis plusieurs mois, la demande est supérieure à l’offre”, confie Arnaud Dessenne, PDG d’Erys Group.
Beaucoup de personnes ont l’image festive de Copacabana mais le pays fait face à plusieurs mouvements de contestation et les renforts mobilisés, d’abord bien accueillis, sont depuis décriés. On sent un débordement. Il y a aussi une problématiques de gangs, d’agressions, d’enlèvements et de vols avec violence”.
L’homme n’a nul besoin de jouer sur les peurs, les clients viennent d’eux-mêmes. Trop nombreux même. “Nos moyens humains et matériels ne sont pas illimités. Du coup, pour ne pas dégrader la qualité de nos prestations, nous nous limitons aux entreprises avec lesquelles nous travaillons depuis plusieurs années. Il nous arrive de renvoyer certaines demandes et besoins spécifiques vers d’autres sociétés amies et en qui nous avons confiance.”
Les entreprises responsables de leurs salariés
Les clients ne laissent plus de place au hasard. L’attentat de Karachi en 2002, causant la mort de 11 employés français travaillant pour la DCN au Pakistan, a depuis fait jurisprudence. Les entreprises ont l’obligation d’informer et de protéger leurs salariés envoyés dans des zones à risques. Une prise d’otage comme celle du site gazier d’In Amenas en Algérie, relayée en direct sur les chaînes info, peuvent également nuire à l’image de l’entreprise gestionnaire.
“Celles-ci ont pris conscience de leur responsabilité et certaines sont très scrupuleuses. Ils nous arrivent de briefer une même personne plusieurs fois, à chacun de ses retours au Brésil. On redit les mêmes choses mais l’employeur se veut irréprochable et être en mesure de justifier que tout a été mis en oeuvre au cas où un accident surviendrait”, poursuit Arnaud Dessenne.
Parmi les prestations : des briefings de sécurité dans les couloirs de l’aéroport de Rio, durant 30 à 45 minutes, pour sensibiliser les expatriés sur les quartiers à ne pas fréquenter ou les bons comportements à adopter, importer des caméras de reportage, accompagner un cadre dirigeant… Les montants varient selon “le pack” de prestations. Il faut compter par exemple 700 euros par jour pour profiter d’une voiture avec chauffeur.
“Le risque se prévient”
Une formation en entreprise, avant le départ et dispensée auprès d’une vingtaine de personnes, le temps d’un après-midi, est facturée moins de 1.000 euros par Gallice. La concurrence conduit à baisser les prix et rend ces formations abordables. “Nous apportons notre expertise et connaissance des risques”, explique Frédéric Gallois, fondateur de Gallice, ancien commandant du GIGN.
“Lorsqu’on analyse le kidnapping d’un journaliste ou d’un touriste, on se rend compte qu’il y a souvent une faille de sécurité : un quartier où la personne se rendait régulièrement et où elle devenait visible, un moment où elle a baissé la garde dans une zone qu’elle savait dangereuse…”
D’autres sociétés comme EHC LLC sont sollicitées pour quadriller le terrain avant l’arrivée d’un salarié. Basée à Londres et travaillant pour des clients français et francophones, la société établit des audits détaillés recensant les risques encourus. Montant pour un audit au Brésil nécessitant deux experts : 15.000 à 20.000 euros.
Des hommes armés étrangers
EHC LLC n’assure pas de services avec gardes armés. “Nos clients français ont du mal à assumer ce type de demande auprès d’une société installée à l’étranger, comme l’est la nôtre en Grande-Bretagne”, confie Bruno Trinquier, directeur général, ancien officier de renseignement. Les mauvaises expériences de sociétés américaines au Moyen Orient collent sans doute à la peau du secteur. “Or, passer par une société française ne garantit pas que le personnel sera français.”
“Car il est extrêmement difficile de déployer hors de France des ressortissants en arme et tout aussi complexe de pénétrer au Brésil quand on est armé. Il est donc nécessaire d’établir une structure locale ou de recourir à un sous-traitant qui dispose de ses hommes assermentés pour exercer dans le pays. Or le client français ne sait pas forcément que ses employés sont sous protection de sous-traitants brésiliens. Quid de sa responsabilité en cas d’incident ?”
Cette contrainte est une aubaine pour les prestataires brésiliens, conscients qu’ils sont indispensables sur le marché. Ils font grimper les prix, par opportunité. “Les tarifs deviennent insupportables”, confie Louis Caprioli, ancien membre de la DST devenu conseiller pour Geos. Nous avons donc décidé de ne pas proposer de services au Brésil. D’ailleurs, les entreprises brésiliennes traitent même directement avec des clients français. Ils se passent de nous.”
Créer son entreprise sur place
La solution est alors d’installer son entreprise directement au Brésil. A l’image de Velours International. “Notre implantation nous donne un avantage concurrentiel certain. Cela nous permet aussi de mieux maîtriser le terrain, d’être au plus près du client pour offrir une prestation sur mesure”, explique son PDG Laurent Serafini.
“Une grande partie de nos agents et managers viennent des forces armées spécialisées, des services de renseignements militaires et des polices françaises et brésiliennes. Nous nous appuyons également sur des sociétés locales car il nous est interdit en tant que société avec des capitaux et un gérant étrangers de disposer d’agents armés.”
En organisant la Coupe du monde au Brésil, avec une dizaine de villes hôtes, la Fifa a assuré des débouchées fleurissants au secteur de la sécurité privée. Davantage encore qu’en Afrique du Sud, lors de la précédente édition. Et les Jeux olympiques, en 2016, également au Brésil, assureront des lendemains tout aussi gagnants pour les autres musclés de ces rendez-vous sportifs.
Cédric Cousseau – Le Nouvel Observateur